Jo Spiegel ou “Comment réconcilier démocratie représentative et démocratie participative ?”

Maire de Kingersheim dans le Haut-Rhin depuis 1989, démissionnaire du PS en 2015, Jo Spiegel implique les habitants dans les décisions qui concernent leur ville. Convaincu que le suffrage universel donne la légalité, mais pas toujours la légitimité, il cherche à réunir ces deux composantes essentielles de l’action publique.

A juvisy, un soir de 2012

Juvisy Info 219 / Octobre 2012

Curieusement c’est à Juvisy-sur Orge, sur notre territoire Nord-Essonne que j’ai rencontré et donc fait la connaissance de Joe Spiegel. Cette rencontre s’est faite un soir de 2012, grâce à une de ces soirées débats dont l’association juvisienne “Ouvrir le débat » à le secret. Lors de cette rencontre Jo Spiegel nous a expliqué de manière simple et pratique la manière dont il gérait sa ville avec ses habitants.

Un déclencheur : un débat public organisé en 1990

Débat public où il découvre avec stupeur que les habitants pétitionnement contre la construction d’une nouvelle école. Il comprend rapidement que lorsque l’on ne regarde l’intérêt général de trop haut on perd de vue les réalités du terrain. A l’échelle individuelle, beaucoup avaient (ou pensaient avoir) à perdre de ce projet “hors sol” : le directeur de l’école existante, les habitants et élèves re sectorisés, les riverains non utilisateurs de la nouvelle école, la mixité sociale…

A partir de ce moment, c’est décidé, il co-construira tous les projets majeurs de sa ville avec ses habitants.

Nous sommes passés maîtres dans la conquête du pouvoir mais nous sommes restés des analphabètes lorsqu’il s’agit de le partager.

Jo Spiegel

Les exemples de projets sont nombreux et nous ne les détaillerons pas ici. Attardons-nous plutôt sur les mécanismes structurants qu’il a mis en place pour greffer à sa ville un ADN participatif :

  • 1998 : Les Olympiades de la démocratie : questionnaire et porte à porte de plusieurs mois du maire pour inciter les citoyens à donner leur vision de leur ville et à devenir co-propriétaire de l’intérêt général et coproducteur de la décision. 43% des habitants ont participé.
  • 2004 : Les états généraux permanents de la démocratie. La démocratie ce n’est pas un coup, le temps d’une élection, d’un vote. Elle est continue et renaît à chaque fois qu’appariait un nouveau projet.
  • 2011 : Déclinaison locale du pacte civique qui rassemble des citoyens et les organisations (administration, entreprises, associations) qui s’engagent dans un Pacte visant à construire ensemble un avenir désirable pour tous avec  4 valeurs clés qui déclinées ensemble impactent positivement le vivre ensemble : créativité, sobriété, justice et fraternité.

Le débat, la concertation, ce n’est pas l’affrontement, c’est la fertilisation des points de vues différents.

Jo Spiegel

En complément de ces 3 temps forts différents outils ont été mis en place comme des budgets participatifs, les Fonds d’Initiatives Citoyennes (FIC) dont la vocation est de soutenir toute initiative citoyenne d’intérêt général ou des conseils participatifs. Ces derniers servent à élaborer toutes les grandes décisions de la commune. Ils  sont composés à 40% de volontaires, 20% de personnes directement  concernées par le projet et 40% de citoyens tirés au sort. Les membres sont au préalables formés pour saisir les enjeux et s’approprier le vocabulaire lié à la problématique. L’élu a est d’abord animateur, avant d’être un décideur, afin que les réflexions ne partent pas dans tous les sens.

Une bonne décision est le fruit de l’intelligence collective.

Jo Spiegel

Au final le bilan de Jo Spiegel c’est :

  • 30 ans d’expérimentation en matière de partage du pouvoir avec les citoyens sur la commune de Kingersheim ;
  • 40 conseils participatifs pour 40 projets différents avec la participation de plus de 700 habitants ;
  • un rôle du politique changé : « on ne fait plus pour les  habitants, on fait avec eux ; on n’est plus dans un face à face  infantilisant mais dans un côte à côte co-productif » ;
  • des citoyens qui se révèlent dans le processus de discussion et en sortent différents : « le regard des gens sur la vie publique change lorsque les gens sont acteurs ».

Cette approche du partage du pouvoir ne lui est pas venu comme cela. Elle résulte d’une remise en question personnelle, de la prise de conscience d’une forme de fragilité qui lui a permis de s’appréhender plus humain et de rechercher un rapport plus modeste au pouvoir. “Élu impliqué dans la conquête du pouvoir je donnais l’impression d’être fort mais j’étais plutôt faible car j’avais en fait besoin de me sentir fort grâce au pouvoir pour avancer. Quand on arrive a partager on est dans le courage d’être et donc plus vrai et plus fort.

JO Spiegel

Né en 1951, Jo Spiegel est professeur d’éducation physique et sportive. Ancien recordman d’Alsace du 800 m, il applique à son rôle politique les vertus du sport : détermination, sens de l’effort, travail en équipe…  Il devient membre du Parti socialiste en 1976. Il est élu maire de Kingersheim en 1989. En 2008, il devient secrétaire national de l’Assemblée des communautés de France chargé de l’animation de la commission « Institutions ». Il refuse la légion d’honneur en 2014 donnant pour raison de son refus « la critique sans concession d’une démocratie en panne et d’un système à bout de souffle ». Le 31 mars 2015, il annonce sa démission du Parti socialiste. Le 7 juin 2016, il annonce que ce sera son dernier mandat de maire. Fin octobre 2018, il co-fonde Place publique le mouvement politique « citoyen, écologiste et solidaire » avec l’essayiste Raphaël Glucksmann.

À 67 ans, Jo Spiegel exerce son dernier mandat à la tête de  Kingersheim.

Bibliographie / Aller plus loin

Conférence Ouvrir le débat du 20 novembre 2012

Et si on prenait – enfin ! – les électeurs au sérieux, par Jo Spiegel, édition Temps présent, en librairie, prix : 14 euros

Article de La Croix

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Le naufrage représentatif dans les communes …

Nos maires n’en peuvent plus !
Difficultés financières, manque de considération… Quelle que soit leur couleur politique, les maires clament leur désarroi. Dixit le parisien et l’étude de l’AMF et du CEVIPOF. Facile a comprendre : trop de promesses, trop d’ambition personnelle, pas assez de moyen… le désamours est profond entre les citoyens et leurs élus.

Lire l’article du Parisien

Lire l’étude de l’AMF-Cevipof

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